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Je n'en reviens pas de l'effervescence créée sur les réseaux sociaux par cette réforme de l'orthographe datant de 1990 ! Beaucoup de Français sont choqués que l'on puisse simplifier certains mots de la langue française et crient au nivellement par le bas, à l'appauvrissement de notre culture. Certains vont même jusqu'à affirmer que si Najat Vallaud Belkacem a mis ça en place (alors qu'elle n'y est strictement pour rien) c'est pour pouvoir imposer d'ici peu de temps la langue arabe à nos chères têtes blondes (non je n'exagère rien).
Des pétitions circulent pour empêcher cette "catastrophe". Certains le font même avec des envolées lyriques, se référant à Charlemagne, Villon ou Ronsard (aucun d'eux ne connaissait l'accent circonflexe ni n'utilisait le trait d'union mais bon, on n'est pas à une incohérence près quand il s'agit de convaincre). A ce jour 31 000 personnes ont par exemple signé celle-ci, dénonçant dans un même élan unanime l'Art de notre écriture qui serait sacrifié sur l'hôtel (sic) de la simplification et de "la logique". La rédactrice de cette pétition en appelle « au rejet total du dit projet, quand bien même celui-ci aurait été censé (re-sic)».
Je suis moi aussi un amoureux de la langue française, un défenseur passionné de l'orthographe (quand j'ai un peu de temps je participe sur twitter au concours chaque jour ici : Une faute par jour). Dénicher la petite faute d'accord, la majuscule manquante ou le contresens, j'adore ça. Faites-le vous aussi, c'est très amusant. Et dans ces périodes sombres, ça fait du bien de s'amuser parfois. Tenez, cette phrase par exemple, sur laquelle je vous donne 30 secondes pour trouver la faute :
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En mettant à l'honneur Lucky Luke, l'icône de l'ouest, les organisateurs du festival d'Angoulême n'ont pas perdu le nord !
Tic-tac-tic-tac-tic-tac.....
Top ! Vous avez-trouvé ? L'icône de l'Ouest bien sûr ! Les points cardinaux gardent leur minuscule (ici le nord) sauf lorsqu'ils désignent une région, une entité politique. On dira par exemple : « En me rendant au sud de l'Afrique j'ai visité l'Afrique du Sud ». Passionnant, non ?
Bref, que les contempteurs de la nouvelle orthographe se rassurent : ce ne sont pas les 2400 mots modifiés qui vont nous empêcher de garder toute notre complexité si singulière. La suppression de l'accent circonflexe sur le i et le u, dont l'invention est très récente dans l'histoire de notre langue, ne va guère perturber notre littérature. Et que dire des traits d'union concernant certains mots sans grande logique mais auxquelles il ne faudrait surtout pas toucher (le pluriel de « contre-jour » s'écrit « contre-jours » mais on dit « des abat-jour » et non « des abat-jours », cherchez pas c'est comme ça !). Une pure coquetterie que certains voudraient voir perdurer car c'est comme ça qu'on leur a enseigné. Ils en ont bavé avec la cime, l'abîme, les rimes, la dîme, le rhume, la bûche, la ruche, les gratte-ciel, les plates-formes et les monte-charges. Ils se sont cassés la tête, se sont laissé convaincre sans jamais s'être laissés aller, il n'y a donc aucune raison pour que leur progéniture n'en bave pas non plus !
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Et pourtant cela devrait satisfaire les puristes qu'on corrige enfin des mots qui étaient mal orthographiés, comme nénufar par exemple ou encore évènement. Je trouve ça intelligent (merci Maurice Druon) de supprimer cette anomalie d'oignon qui s'écrit comme moignon mais se prononce comme pognon. Dans 50 ans, j'imagine la tête de nos petits enfants si un hurluberlu vient leur dire que maintenant il ne faudra plus écrire ognon mais oignon car c'est comme ça qu'on l'écrivait au XXème siècle. C'est un peu comme si on nous obligeait aujourd'hui à écrire comme Geoffroy Tory qui proposa en 1529 une réforme de l'orthographe (hé oui, déjà...) sachant qu'avant cette époque il n'y en avait pas vraiment, d'orthographe, et que chacun (du moins les quelques uns qui savaient écrire) faisaient un peu comme ils voulaient... En nostre langage françois, dit-il, navons point daccent figure en escripture, et ce pour le default que nostre langue nest encore mise ne ordonnee a certaines reigles, comme les hebraique, grecque et latine. Je vouldrois quelle y fust, ainsi que on le porroit bien faire.
Bon, je vous l'accorde, on ne comprend pas bien ce qu'il raconte, mais c'est lui qui enrichit notre langue de l'apostrophe, des accents aigus et de la cédille. Pour l'accent circonflexe, objet de tant de discussions aujourd'hui, il faudra attendre le XVIIIème siècle pour qu'il s'impose vraiment. Il s'agissait alors de simplifications (Ah ces fainéants!) avec la disparition d'autres lettres au sein d'un mot et que l'on ne prononçait plus (isle qui devint île par exemple, ou saoul qui donna soûl mais dont les deux orthographes continuent de coexister, comme quoi c'est possible...) ou d'une différence de prononciation (sur les a, les e et les o). L'accent circonflexe sert aussi à discriminer certains mots : sur/sûr, mur/mûr, jeune/jeûne,... et dans la conjugaison du subjonctif imparfait (le subjonctif « j'espérais qu'il fût moins con » n'a pas le même sens que le passé simple « j'espérais qu'il fut moins con »), mais ça, n'en déplaise à ceux qui nous bassinent avec leurs exemples (« je me ferais bien un petit jeune », ou encore « je suis sur ta sœur elle va bien ») la réforme n'y touche pas. Vous pourrez donc continuer à écrire des phrases en français incorrect tout en conservant l'accent circonflexe qui vous est si cher !
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Enfin, à l'initiatrice de cette pétition évoquée plus haut et qui cite Victor Hugo, je rappellerai qu'au XIXème siècle nos grands écrivains déploraient que l'autorité en matière de langue appartint uniquement aux grammairiens. «Tous les mots sont égaux en droit», proclamait Victor Hugo. C'est aussi ce que souhaitait l'Abbé Grégoire lors de la Révolution Française en simplifiant notre orthographe, en harmonisant la langue française pour qu'elle soit accessible au plus grand nombre. Le conservatisme bourgeois puis le retour de la monarchie ont mis fin à cette belle idée. La «bonne orthographe» devint une marque de classe, de distinction sociale. A partir de 1832 la maîtrise des règles de la grammaire devint obligatoire pour l'obtention de tout emploi public. Le temps où chacun écrivait comme il voulait était révolu pour faire place à une grammaire et une orthographe bureaucratisées. Depuis cette époque les nombreuses réformes pour simplifier l'orthographe échouèrent toutes les unes après les autres. Celle de 1990 est bien modeste. Elle ne va nullement abaisser le niveau de culture générale de nos enfants. J'aurais même tendance à penser qu'elle pourra l'améliorer car le temps qu'ils ne passeront plus à savoir s'il faut ou non mettre un accent circonflexe sur le i de cime, ils pourront le consacrer à écrire correctement les expressions aujourd'hui sacrifiées sur l'autel ou à ne pas confondre sensé avec censé ;-)
Bon dimanche à tous !
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