L'actualité est souvent facétieuse. À quelques heures d'intervalle on apprenait que Lance Armstrong allait être dépossédé de tous ses titres de champion cycliste depuis 1998 et que Neil
Armstrong, le premier homme à avoir marché sur la lune, était décédé à l'âge de 82 ans. Grandeur et décadence de l'"American way of life" où l'exploit surnaturel d'un septuple vainqueur du Tour
de France côtoie celui d'un astronaute plantant le drapeau des States sur la lune en 1969.
À cette époque un autre extraterrestre survolait toutes les grandes classiques cyclistes et gagnait le premier de ses 5 tours de France: Eddy Merckx. Notre pauvre Poulidor national sortait à
peine de la domination de Jacques Anquetil (vainqueur 5 fois lui aussi) qu'il devait à nouveau subir celle d'un cannibale de la route, un bouffeur de bitume implacable. Comme beaucoup de gamins
je me passionnais pour ces coureurs, suivant leurs exploits à la radio puis à la télé, découpant les classements dans le journal. En 1973 j'ai eu la chance d'assister à une étape du Tour, dans la
montée de Meribel, où nous pouvions admirer le grand Luis Ocana (qui gagna l'épreuve cette année là, en l'absence de Merckx) au côté de Bernard Thevenet (vainqueur de l'étape) mais aussi Cyrille
Guimard, en totale perdition. Je me souviens de lui, grimaçant, montant ce col interminable, finissant l'étape dernier, sous la pluie, et abandonnant dès le lendemain matin. Un grand sprinter, le
Guimard, mais un piètre grimpeur.
Merckx et Guimard sur le Tour de France 1972
Des grands grimpeurs il y en a eu par la suite, mais tout doucement, insidieusement sont apparues des affaires de dopage qui ont discrédité leurs mérites. Pas parce que l'on découvrait ces
méthodes de tricheur, qui existaient bien avant dans ce sport de forçat, mais parce que le dopage se généralisait avec l'apparition de produits chimiques de plus en plus élaborés. Dans mes
souvenirs de spectateur passionné ça a commencé avec Joaquim Agostinho, déclassé du Tour de France 1977 pour contrôle positif. L'année d'après c'est Michel Pollentier qui sera exclu pour avoir
triché lors du contrôle. Ces deux là n'étaient malheureusement que la partie émergée de l'iceberg. Peu à peu il a bien fallu me rendre compte que tout le monde se dopait, et qu'il n'était pas
naturel de monter 3 cols des Alpes dans une même journée à plus de 30 km/h de moyenne... Le summum a été atteint avec cette fameuse affaire Festina en 1998, et ce soigneur Willy Voet (tiens, le
même que celui de Pollentier...) qui transportait des valises de produits dopants pour les coureurs.
1998 est donc la dernière année où je me suis sérieusement intéressé au Tour de France, devenu une véritable plateforme expérimentale pour les chimistes curieux et autres biologistes détraqués.
L'année d'après Armstrong gagnait le premier de ses 7 Tours et on n'en finirait plus de parler de suspicion, de coureur extraterrestre et exploits surnaturels. L'UCI va-t-elle vraiment annuler
les victoires de l'américain ? J'en doute, car finalement à qui faudrait-il les attribuer:
Alex Zülle ? 2ème en 1999 après avoir été exclu avec toute l'équipe Festina l'année d'avant, ayant avoué s'être injecté des doses d'EPO et avoir massivement pris des hormones de croissance.
Jan Ullrich ? 2ème en 2000, 2001 et 2003, qui a révélé lui aussi s'être dopé à l'EPO dans les années 90 puis contrôlé positif aux corticoïdes sur le Tour d'Italie en 2001 (pour soigner son
asthme...), aux amphétamines en 2002 puis impliqué dans un vaste réseau de dopage en 2006 (affaire Puerto).
Armstrong et Ullrich à l'arrivée de Luz Ardiden en 2001
Joseba Beloki ? 2ème en 2002, asthmatique souffreteux comme Ullrich (c'est fou le nombre de champions cyclistes asthmatiques...) et qui met un terme à sa carrière après avoir lui aussi trempé
dans cette affaire de réseau de dopage par transfusion sanguine en 2006.
Andreas Klöden ? 2ème en 2004, issu de la fameuse école est-allemande, coéquipier d'Ullrich à la fin des années 90 puis impliqué dans une affaire de transfusion sanguine à la clinique
universitaire de Fribourg en 2006, à la veille du départ du Tour.
Ivan Basso ? 2ème en 2005, lui aussi accusé d'usage de substance ou de méthode dopante, impliqué dans l'affaire Puerto à l'issue de laquelle il écopera de deux années de suspension par la justice
italienne.
Et ne parlons pas de Marco Pantani, vainqueur en 1998, trouvé mort dans sa chambre d'hôtel en 2004 d'un excès de cocaïne, exclu des circuits en 1999 pour un taux d'hématocrite trop élevé. Ni du
lituanien Rumsas, 3ème en 2002, mais dont l'épouse venait d'être interpellé par les douanes près du Mont Blanc transportant une cargaison d'EPO, hormone de croissance, testostérone, anabolisants
et corticoïdes. Sans sourciller le gars nous expliquait que ces médicaments étaient pour sa belle-mère ! Finalement le plus lucide est sans doute Francisco Mancebo, 3ème en 2005, qui déclare en
2006 lors de son exclusion du tour: "Si toutes les équipes devaient respecter le code éthique pour être au départ, seul Jean-Marie Leblanc (l'organisateur du Tour) y serait. Je me sens
innocent étant donné que je n'ai jamais été contrôlé positif".
Laissons à Lance Armstrong ses victoires. Ses médecins et lui ont trouvé une méthode de dopage particulièrement efficace puisque indécelable. Ça ne vaut pas un premier pas sur la Lune mais bien
le trophée du parfait cycliste-biologiste !
Bon dimanche à tous !
*J'explique pour les plus jeunes. En 1998, lors du Tour de France éclatait le scandale de l'affaire Festina, équipe cycliste à laquelle appartenait le français Richard Virenque. Celui-ci, avec un
aplomb digne des plus grands de l'histoire du cyclisme avouait lors d'une interview qu'on l'avait sans doute dopé "à l'insu de son plein gré !". Les Guignols de l'info sur Canal+ se sont emparés
de cette expression pour en faire un gimmick permanent et irrésistible. Pauvre Virenque, pauvre Tour de France !